Mémoire DU d’histoire de la médecine 2017 Université Paris Descartes.



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La douleur au XIXe siècle.
Laura Contente

Conclusion

La douleur connait une évolution majeure au cours du XIXe siècle tant d’un point de vue théorique que pratique. Les différentes mutations observées concernant la douleur, sa conception et prise en charge, sont cohérentes avec les bouleversements sociétaux et l’observation du changement des mentalités. La douleur au XIXe siècle s’inscrit tout à fait dans son temps, sujette à de nombreuses innovations et découvertes, elle est imprégnée des courants philosophiques, économiques et religieux qui l’entourent.

La conception de la douleur présente une évolution notable entre le début et la fin du siècle. Qu’il s’agisse du fond de la question concernant par exemple sa nature, ses causes et conséquences, ses effets ou bien la manière dont elle est abordée. La douleur est dépersonnalisée et les observations permettant de la définir deviennent plus objectives. Les avancées de la physiologie permettent une avancée rapide et fulgurante par rapport au siècle passé dans la compréhension des phénomènes liés à la douleur. Même si de nombreuses questions demeurent à l’orée du XXe siècle, toutes ces nouvelles théories constituent la base d’une réflexion scientifique pertinente et efficace. En essayant de dégager quelques lignes directrices de ces chantiers, il semble que la théorie de la spécificité occupe une situation paradoxale dans la mesure où elle est jugée comme insuffisante tout en continuant d’être mise en avant dans les études. D’un autre côté, la théorie de la sommation n’exclut pas celle de la spécificité mais se situe à un autre niveau : celui de la transmission et la communication des informations. Tantôt opposés, tantôt chevauchés ou encore compensés l’un par l’autre, ces deux axes de réflexions sont prépondérants pour l’explication des mécanismes de la douleur depuis le XIXe siècle.

S’il existe un bouleversement majeur dans l’Histoire de la douleur, il s’agit bien du changement du sens qui lui est donné quant à son utilité dans le diagnostic, le pronostic et le traitement du mal. Longtemps considérée comme indispensable à l’existence de la maladie et aux thérapeutiques mises en place pour la guérison, elle est finalement réduite à un signe d’alarme et un symptôme de la dite maladie (excepté dans des cas précis comme les névralgies essentielles). Cette nouvelle conception de la douleur comme un signe clinique parmi d’autres, non essentiel à la guérison permet la naissance de la notion de soins « palliatifs » accompagnés ou non de soins « curatifs ». Le XIXe siècle accueille d’ailleurs le début des soins palliatifs en France avec la fondation de l’œuvre du Calvaire à Lyon par Jeanne Garnier en 1842.

L’anesthésie reste la découverte majeure et remarquable qui est elle-même le fruit des expériences de visionnaires prêts à tous les risques pour trouver une solution antalgique à la chirurgie. Elle influence irrémédiablement cette conception de l’utilité de la douleur tout en engendrant de nouvelles questions légales, éthiques et pratiques. De manière générale, à la fin du XIXe, la douleur est traitée quand elle peut l’être et perd sa valeur thérapeutique et salvatrice voire rédemptrice.
Comme développé dans les paragraphes précédents, cette évolution de la douleur s’inscrit dans un contexte social et nombreux sont les domaines touchés par une évolution similaire en lien direct ou indirect avec elle. La prise en charge et la conception de la douleur inspirent et sont inspirées des courants de pensées contemporains. Ainsi, l’étude de la douleur dans tous ces aspects reflètent les mouvements idéologiques du siècle (positivisme, hygiénisme).

Concernant la situation actuelle des recherches sur la douleur, les chantiers restent ouverts et la part des incertitudes demeure peut-être bien plus large que celle des questions résolues. Sans équivoque, l’Histoire de la douleur n’est pas terminée et des conclusions peuvent être tirées de l’étude du concept douloureux au XIXe applicables de nos jours afin de continuer à écrire les pages de cette épopée à la recherche des vérités sur la douleur. D’abord, la nécessité du rapprochement entre les disciplines fondamentales et la valeur de l’approche clinicienne sont indispensables à une avancée dans la compréhension des phénomènes. Ensuite, même si les discussions se poursuivent sur les théories d’ensemble et que beaucoup de faits restent inexpliqués comme l’effet placebo ou encore l’hypnose, les progrès initiés au XIXe et poursuivis au XXe siècle restent indéniables et spectaculaires en comparaison des siècles passés. Pourtant encore de nos jours, si des mécanismes pathologiques sont compris, les patients continuent d’en souffrir. Comme au XIXe siècle, il existe aujourd’hui un décalage entre la théorie et la pratique qui obéissent au cours de l’Histoire à des rythmes et logiques respectifs et différents. S’il est évident que le XIXe siècle présentent une révolution considérable des savoirs et des pratiques, le XXIe siècle rivalise-t-il avec ce siècle révolutionnaire en termes d’avancée médicale ? Nous ne sommes pas à l’abri d’une brusque accélération dans les années à venir… Enfin, peut-être existe-t-il une leçon à tirer quant à la manière d’exercer et de concevoir la médecine. Depuis le scientisme du XIXe siècle, les médecins se réfugient derrière les protocoles et la pharmacologie tandis que les patients ont une foi inébranlable dans les pouvoirs de la médecine. Médecins et patients se complaisent dans l’idée que la médecine est une science plus qu’un art. La douleur, ressentie encore aujourd’hui de manière universelle, remet quotidiennement en question ces certitudes. Elle est subjective, elle est personnelle et individuelle. Elle est comme l’expérience limite dans laquelle chacun se retrouve confronté à soi-même. Elle oblige à une réappropriation individuelle comme la conquête par chacun de son statut de sujet vivant. Bien sûr, la médecine est une science dans la mesure où le médecin apprend le savoir et le savoir-faire. Pourtant, « J’ai mal docteur »… Le savoir-être du médecin face à la plainte n’est-il pas la première des réponses à donner ? La médecine est un art dans tout ce qu’elle représente d’instinctif, d’inexplicable, d’évident.